Par Andy Coghlan
Voir la réponse de Robert Gallo
L’une des sagas les plus ringardes de l’histoire de la médecine s’est déroulée dans la décennie qui a suivi la découverte du VIH en 1983.
Publicité
À première vue, les célébrations étaient de mise car il n’avait fallu que deux ans aux scientifiques pour découvrir ce qui causait le sida après l’apparition des premiers cas en 1981.
Au lieu de cela, le public mondial a assisté à une interminable querelle entre deux équipes – l’une en France et l’autre aux États-Unis – pour savoir qui a réellement découvert le virus, quel test pour le virus a été breveté en premier, et si une équipe s’était « appropriée » des échantillons viraux de l’autre.
Maintenant, toute cette saga a été remise sur le tapis parce que les dirigeants d’une équipe, mais pas l’autre, ont reçu le prix Nobel de physiologie ou de médecine.
L’une des équipes, au National Cancer Institute de Bethesda, dans le Maryland, était dirigée par Robert Gallo. L’autre, à l’Institut Pasteur de Paris, était dirigée par Luc Montagnier.
La moitié du prix a été partagée lundi entre Montagnier et sa collègue Françoise Barré-Sinoussi. L’autre moitié du prix a été attribuée à Harald zur Hausen, du Centre allemand de recherche sur le cancer à Heidelberg, pour une réalisation sans aucun rapport avec le sujet : la découverte que les papillomavirus humains (HPV) causent le cancer du col de l’utérus.
On peut donc se demander&colon ; pourquoi le comité Nobel a décidé de ne pas inclure Gallo ?
Des « découvertes » jumelles
Dans les informations envoyées aux journalistes, la Fondation Nobel indique que l’équipe de Montagnier a isolé le virus que nous appelons aujourd’hui VIH-1 en 1983. Ils l’ont trouvé dans des échantillons de globules blancs extraits des ganglions lymphatiques de Frédéric Brugiere, un styliste français atteint du sida, et l’ont appelé virus associé aux lymphadénopathies (LAV).
Le 20 mai 1983, l’équipe de Montagnier fait publier sa découverte dans Science (vol 220, p 868).
Ce n’est qu’un an plus tard, le 4 mai 1984, que l’équipe de Gallo annonce qu’elle aussi, a découvert le virus responsable du sida, toujours dans Science (vol 224, p 500) . Son équipe a appelé son virus HTLV-IIIB, c’est-à-dire virus de la leucémie/lymphome humain à cellules T de type IIIB.
Le journaliste Steve Connor du New Scientist a été le premier à se pencher en profondeur sur le clivage croissant entre les groupes, et à soulever des questions sur la prétention de Gallo à avoir découvert le virus (New Scientist, 12 février 1987, p49).
Lisez l’article de Connor (PDFs, dix parties)&colon ; 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
De nombreuses années et de nombreuses rumeurs plus tard, en juin 1991, Gallo a finalement admis que le virus du sida qu’il avait « découvert » en 1984 provenait en réalité de l’Institut Pasteur – en fait, des ganglions lymphatiques de Frédéric Brugiere lui-même (voir ce merveilleux récit de la saga par notre journaliste médicale de l’époque, Phyllida Brown, qui détaille l’enquête des National Institutes of Health qui a innocenté Gallo du vol de la souche française.
Cultures « contaminées »
Donc HTLV-IIIB et LAV ne faisaient qu’un, et provenaient tous deux du même échantillon. Entre 1983 et 1984, les deux équipes ont effectivement échangé régulièrement des échantillons, mais la façon dont l’échantillon crucial s’est retrouvé avec une « découverte » dans le laboratoire de Gallo n’a jamais été complètement expliquée.
Dans une lettre à la revue Nature en 1991, admettant que l’échantillon crucial provenait de France, Gallo a déclaré qu’il semblait provenir de la contamination de ses cultures par un virus français.
Il y avait également des questions d’argent provenant d’un test pour le VIH développé et breveté par l’équipe de Gallo sur le dos de la découverte du HTLV-IIIB.
Bien que cela ait été réglé à l’amiable en mars 1987, la question se pose de savoir si, à la lumière des virus provenant de France, le Pasteur méritait de profiter exclusivement du test (d’autant plus que l’équipe française avait déposé un brevet sur le test aux États-Unis quatre mois avant Gallo).
L’accord à l’amiable, annoncé conjointement par le Premier ministre français Jacques Chirac et le président américain Ronald Reagan, stipulait que chacune des deux parties avait des droits égaux pour revendiquer la priorité concernant la détection et l’isolement du virus, et que Gallo et Montagnier seraient désormais reconnus comme les « codécouvreurs » du VIH – une stipulation également incluse dans une Chronologie de la recherche sur le sida cosignée par les deux dans Nature le 2 avril 1987.
Alors, à la suite des révélations apparues en 1991 sur la « contamination » de l’échantillon de Gallo, le titre de « codécouvreur » de Gallo tient-il toujours ?
Changement d’attitude
Une analyse des citations scientifiques des deux articles phares jette une lumière intéressante sur ce point. Elle montre qu’au début, presque personne n’a cité l’article de Montagnier de 1983, alors que celui de Gallo a suscité un intérêt massif de la part d’autres scientifiques dans les six mois suivant sa publication.
Mais la situation s’est inversée après le pic de la dispute en 1985, l’article de Montagnier grimpant progressivement dans le palmarès des citations jusqu’à dépasser celui de Gallo. En 1990, les scientifiques avaient décidé de ne citer que l’article de Montagnier, comme le rapporte New Scientist.
D’autres scientifiques ont également pesé dans le débat. Stanley Prusiner, de l’Université de Californie à San Francisco, et lui-même lauréat du prix Nobel pour la découverte des maladies à prions, a écrit dans Science que « rétrospectivement, il ne fait aucun doute que Montagnier et ses collègues ont été les premiers à signaler la découverte du virus que nous appelons aujourd’hui virus de l’immunodéficience humaine, ou VIH ».
De même, les deux parties ont tenté de clore l’affaire par une annonce commune en 1994.
Mais la question clé demeure. Gallo en a-t-il fait assez pour avoir mérité une part de la gloire du Nobel ? Ou était-il juste que le crédit final revienne à Montagnier ? Certains chercheurs à qui nous avons parlé pensaient certainement que l’inclusion de Gallo aurait permis de mettre un terme à toute cette dispute une fois pour toutes. J’ai essayé d’entrer en contact avec l’homme lui-même, mais jusqu’à présent je n’ai pas eu de réponse.
Plus sur ces sujets :
- VIH et SIDA