Depuis trois jours, les pluies n’avaient cessé de tomber, puis les trombes d’eau ont cessé. Alors, chevauchant dans la boue avec ses lieutenants, il étudie l’ennemi, formé au loin le long d’une ligne de près de quatre miles de long, la cavalerie couvrant les deux flancs, les armures scintillant dans les rayons intermittents du soleil.

Frontant la cavalerie, il remarque des chars, peut-être jusqu’à cinq cents sur chaque flanc, et entre les flancs éloignés, des éléphants de guerre, immanquables à presque n’importe quelle distance. Ils défendent la ligne de bataille principale comme une cité de tours. Combien sont-ils ? Deux cents ? Au moins.

Les éléphants – bien entraînés et disciplinés – sont lourdement blindés, et portent sur leur dos des structures en forme de bateau dans lesquelles les archers et les lanceurs de javelots regardent les mortels de la terre comme depuis les nuages, n’attendant plus que l’ordre d’avancer.

Mosaïque d’Alexandre (détail), Maison du Faune, Pompéi

Ses officiers pointent vers l’infanterie ennemie postée derrière les éléphants, parée de splendeur, les casques d’acier scintillant à perte de vue, comme une vague lointaine qui crête l’océan. Ils portent des uniformes aux couleurs glorieuses, sont armés de lances, de masses et de haches pour trancher. Il sourit ; c’est un spectacle impressionnant.

Il est Alexandre de Macédoine, le grand capitaine, peut-être le plus grand chef militaire connu de l’histoire. De loin, il prend l’affectation de l’ennemi avec l’œil attentif du plus grand guerrier du monde, jaugeant, cherchant la faiblesse, l’imprécision, le seul endroit vulnérable où je pourrais porter un coup mortel – le coup qui ne lui a jamais fait défaut.

S’il ne peut pas déterminer carrément ce point de faiblesse, il va manœuvrer, forçant son ennemi à répondre, puis frapper immédiatement et violemment là où la faiblesse apparaît soudainement. À cela, il est un maître.

Dépiction victorienne d’une phalange macédonienne à la bataille des charrettes

C’est le mois de mai, 326 avant Jésus-Christ, et Alexandre est maintenant en campagne depuis huit longues années, huit années au cours desquelles il a mené la campagne militaire la plus extraordinaire et la plus réussie que le monde ait jamais vue. Il a conquis le monde connu, détruisant les Égyptiens et les Perses, ainsi que divers royaumes moins connus en cours de route. Combattant dans trop de batailles pour les compter, Alexandre a mené de l’avant lors de chaque engagement, souvent blessé, mais perdant… pas une seule fois.

Auparavant, au printemps, sa vaste armée a navigué sur les hauts plateaux redoutés et le froid brutal du Turkestan et de l’Afghanistan, descendant l’Hindu Kush, s’engouffrant par le col de Khyber dans les basses terres de l’Inde, un paysage si mystérieux et inconnu des Grecs qu’il pourrait aussi bien être les vallées et les montagnes de la lune.

Alors qu’Alexandre a conquis le monde connu, cette conquête semble tout à fait insuffisante pour assouvir sa convoitise prédatrice, alors il a poussé, et encore…et encore. Comme le note Peter Green, son biographe, « il n’y avait pas de limite prévisible à ses ambitions, seulement un horizon qui s’éloignait constamment à l’infini. Ce qu’il envisageait maintenant était (au sens le plus littéral) une marche vers le bout du monde. »

Tableau de Charles Le Brun représentant Alexandre et Porus lors de la bataille de l’Hydaspes.

Pour accomplir cette marche vers la limite extrême de la terre, Alexandre dispose de la meilleure machine militaire de son époque. A la fois professionnelle et sophistiquée, c’est une armée capable de s’adapter à pratiquement toute menace potentielle. Composant l’ordre de bataille, on trouve des archers, des lanceurs de fléchettes, de la cavalerie légère, des frondeurs, de la cavalerie lourde et des lanceurs de javelots.

Son train de siège se compose de catapultes légères qui, comme l’artillerie moderne, peuvent être rapidement décomposées puis réassemblées sur le terrain par ses ingénieurs à un moment donné. Il y a aussi des béliers et des tours de siège portables, assez pour détruire n’importe quelle fortification ou escalader n’importe quel mur.

Mais le cœur de l’armée d’Alexandre, l’élément qui s’est avéré invincible à maintes reprises, est son infanterie. Désignée sous le nom de « Compagnons à pied », l’infanterie est composée d’hoplites, des individus très entraînés et très motivés issus des classes moyennes et supérieures de la société grecque. Armés d’un bouclier et d’une épée courte pour le combat au corps à corps, l’arme principale des hoplites est la sarissa, une lourde lance de 14 pieds de long, mise au point des années auparavant par le roi Philippe, le père d’Alexandre

Porus attend l’attaque d’Alexandre juillet 326 avant JC.

Efficacement entraînés à combattre avec la sarissa depuis les rangs de la célèbre phalange macédonienne, une formation en bloc de seize rangs de profondeur et de seize hommes de large, les Compagnons à pied ont, presque comme un char d’assaut moderne, submergé tous les adversaires d’infanterie qu’ils ont affrontés pendant la campagne. De plus, comme la sarisse tient l’ennemi à distance, la phalange d’Alexandre a pu pratiquement massacrer ses adversaires, tout en subissant très peu de pertes. Par conséquent, leurs victoires ont été magistralement exécutées, résolument violentes et effroyablement mortelles.

Alors qu’Alexandre a mené avec audace, courage et un sens martial inégalé, son armée a également surclassé tous les adversaires qu’il a affrontés – un avantage qui n’est en rien négligeable.

En effet, l’armée et l’organisation d’Alexandre sont si avancées que l’historien militaire Trevor Dupuy, écrit : « Une organisation et des programmes d’entraînement minutieux ont soudé la masse en une machine militaire qui, sous le commandement personnel de Philippe puis d’Alexandre, aurait probablement pu réussir contre toute autre armée levée au cours des dix-huit siècles suivants ; autrement dit, jusqu’à ce que les armes à poudre deviennent prédominantes. » Sous le commandement d’Alexandre, ils ont été, littéralement, invincibles.

C’est cette force singulièrement supérieure qu’Alexandre a fait descendre dans l’Hindu Kush jusqu’en Inde où, sur la rive opposée de la rivière Hydaspes (l’actuelle rivière Jhelum dans la région du Punjab du Pakistan moderne), le roi Porus, maître du royaume de Paurava, a positionné son armée massive dans un acte de défi.

Le passage de la rivière Hydaspes par Alexandre.

Porus a refusé de se plier à la demande de soumission d’Alexandre, préférant se battre plutôt que de se soumettre. Mais pour continuer vers l’est – comme Alexandre le désire – il doit marcher à travers le royaume de Paurava, donc selon la logique du jour, Porus et ses militaires aux costumes colorés doivent être expédiés.

Porus attend sur les rives du fleuve en crue, déterminé à annihiler instantanément toute tentative d’Alexandre de traverser. La nature a jusqu’à présent frustré Alexandre, mais il n’est rien si ce n’est un homme énergique, créatif et implacable.

Pendant des semaines, Alexandre cherche à franchir le fleuve – en crue maintenant avec la fonte des neiges et les pluies de mousson – tandis que Porus traque chacun de ses mouvements depuis la rive opposée. En utilisant une série de techniques de tromperie, il a finalement trouvé un gué utilisable à environ 18 miles en amont du fleuve. Laissant derrière lui un petit corps de troupes pour l’affichage sous son général en chef, Craterus, Alexandre a traversé le fleuve à gué de nuit avec le gros de son infanterie (peut-être 30 000) et 5 000 de sa cavalerie de compagnons au milieu du tonnerre crépitant et des éclairs d’un violent orage.

Fleuve Hydaspes (aujourd’hui le fleuve Jhelum dans la région du Pendjab du Pakistan moderne)

Pendant ce temps, Craterus manifestait activement en aval de la rivière en face du camp principal de l’ennemi, retenant l’armée de Porus sur place. La ruse a fonctionné, et avant que Porus ne comprenne ce qui s’était passé, Alexandre avait traversé avec toute sa force.

Porus a répondu en envoyant son fils avec un contingent de cavalerie et de chars pour faire face à la menace, mais cela a été facilement balayé par Alexandre. Le fils de Porus fut tué au cours d’un combat acharné, laissé derrière dans la boue et la vase alors qu’Alexandre avançait sans relâche.

Marchant avec force, les Macédoniens ne tardèrent pas à découvrir le corps principal de l’armée de Pauravan – cavalerie, chars, infanterie et éléphants de guerre, disposés pour la bataille, bloquant leur route vers l’est. Aucune estimation précise de la force n’est disponible pour nous aujourd’hui, mais un chiffre raisonnable mettrait l’effectif total de Porus à quelque part autour de 75 000 hommes.

Un tableau d’André Castaigne représentant la phalange attaquant le centre à Hydaspes

Alexandre reposait ses hommes en étudiant de loin l’armée de la Pauravie, ceci alors que Cratère passait le fleuve à gué avec le reste, consolidant les Macédoniens le long de la rive, peut-être forts de 50 000 hommes. Puis, lorsque tout fut enfin en place, Alexandre divisa sa cavalerie, une partie sous les ordres de Coenus, tandis qu’il menait lui-même l’autre partie contre le flanc gauche de Porus.

La cavalerie de compagnie d’Alexandre enfonça rapidement les chars de Porus – embourbés dans la boue, comme ils l’étaient – et commença à mettre sa cavalerie en déroute. Sentant le danger sur sa gauche, Porus ordonna à la cavalerie de son aile droite de traverser son front pour renforcer son flanc gauche qui s’effondrait.

Ce mouvement ouvrait la faiblesse même que les Macédoniens avaient toujours recherchée et exploitée. Coenus ne déçoit pas, menant immédiatement sa cavalerie contre la droite et l’arrière de Pauravan nouvellement exposés.

Pendant ce temps, Porus ordonne à ses éléphants et à son infanterie d’avancer sur le centre d’Alexandre. N’ayant jamais fait face à une épreuve aussi terrifiante, on ne savait pas comment les Macédoniens allaient réagir. Les éléphants tonnent en avant, mugissant terriblement tandis que les archers de Pauravan décochent des milliers de flèches sur les phalanges rangées devant eux.

Attaque combinée de la cavalerie et de l’infanterie.

Au début, l’infanterie macédonienne s’avança de même à la rencontre de l’ennemi, attaquant les éléphants avec leurs sarissas, faisant enrager les bêtes et semant la confusion dans les rangs des Pauravans. Puis ils commencèrent à reculer lentement, forçant les éléphants à les suivre, confondant et épuisant les bêtes alors qu’elles avançaient à leur poursuite.

Puis la longue ligne de phalanges s’avança une fois de plus, frappant le centre de la ligne de Porus avec du venin, rencontrant les éléphants déjà fous dans une scène qu’on imagine mieux de l’enfer. Lardant et taillant les bêtes enragées, les Macédoniens se battaient sauvagement, alors qu’ils étaient eux-mêmes encornés, soulevés, projetés, piétinés et écrasés dans la terre.

Les Grecs se lancèrent néanmoins à l’assaut dans un combat d’une horreur et d’un gore presque inimaginables. Hommes et bêtes beuglaient dans une violence rageuse alors que le sang coulait, que les sarissas fendaient l’air et que la mort, en grand carnaval, régnait l’après-midi.

Défaite de Porus par les Macédoniens.

Éventuellement, les éléphants, épuisés et frénétiques, cédèrent, se retournant pour fuir les lances et les épées étincelantes. Les Macédoniens, pressentant la victoire, continuèrent à avancer. Les immenses bêtes, effrayées jusqu’à la panique, commencèrent à piétiner leur propre infanterie, transformant la scène en un chaos total.

La ligne de bataille de Pauravan, maintenant assiégée devant, sur le flanc et à l’arrière, commença à fondre. Pendant ce temps, les Macédoniens continuaient leur poursuite frénétique et, dans une orgie de saignée, massacraient par milliers les Indiens surclassés. Bientôt, c’était fini, Porus blessé, son armée en déroute, fuyant le champ de bataille dans une tempête paniquée.

Les estimations des pertes sont, bien sûr, les meilleures suppositions aujourd’hui, mais ces suppositions suggèrent que les pertes de Pauravan étaient stupéfiantes : 3 000 cavaliers tués, une force de chars anéantie, jusqu’à 90 éléphants de combat tués, 30 000 fantassins massacrés, 3 000 autres faits prisonniers.

Les récits historiques impliquent que les Macédoniens ont subi jusqu’à 1 000 morts dans ce combat épouvantable ; l’un des plus grands nombres de pertes jamais subies par l’armée d’Alexandre.

Alexandre accepte la reddition de Porus, illustration de 1898-99

Alexandre, impressionné par la position et le courage de Porus au combat, épargna sa vie et lui permit de rester à la tête de cette section de l’empire en constante expansion d’Alexandre. Pour Alexandre, la route vers l’est était maintenant sécurisée, le chemin de la conquête infinie qu’il désire tant forcé grand ouvert par cette victoire, sa plus récente.

Mais ses hoplites ne veulent rien savoir. Pour eux, la charge sanglante, brutale et monstrueuse contre les éléphants de guerre en furie semble avoir été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ils ne se sont pas mutinés, mais ils ont refusé d’aller plus loin, exigeant que l’armée – maintenant huit longues, fatigantes et sanglantes années sur la route – fasse demi-tour, et commence le long voyage de retour vers la Macédoine.

Les imposantes montagnes de l’Himalaya, maintenant visibles, font signe à Alexandre vers l’est, mais les hoplites ne bougeront pas. Ainsi, l’armée fait demi-tour, et commence le trek de retour d’où elle est venue, une histoire aussi chargée de danger, de courage, de sang et de bataille que celle qui a fait sortir les Grecs d’Asie Mineure en premier lieu.

State d’Alexandre le Grand à Thessalonique, en Macédoine, en Grèce. Photo : Nikolai Karaneschev / CC BY SA 3.0

La bataille sur l’Hydaspes marque la dernière grande victoire d’Alexandre, l’une de ses quatre victoires aujourd’hui considérées comme des chefs-d’œuvre, ceci grâce à sa traversée inspirée et furtive d’un fleuve au stade de la crue, et à sa victoire sur un ennemi nettement plus grand.

Les Macédoniens retournent à Babylone où Alexandre – désormais ivre de vin, de pouvoir et d’un ego pathologiquement gonflé – règne d’une main de fer pendant sept années brutales. Puis, le 10 juin 323 avant Jésus-Christ, il meurt de causes inconnues, peut-être d’une maladie, peut-être d’un poison de la main d’un assassin.

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Le grand Alexandre, le conquérant le plus prolifique de tous les temps, gît mort à l’âge de 32 ans seulement. Très bientôt, son empire va se diviser, s’effondrer et retourner à la poussière. L’emplacement de sa tombe reste un mystère à ce jour.

Par Jim Stempel

Jim Stempel est l’auteur de nombreux articles et de huit livres sur l’histoire américaine, la spiritualité et la guerre. Parmi ceux-ci, citons The Battle of Glendale : The Day the South Nearly Won the Civil War, et son plus récent, American Hannibal : The Extraordinary Account of Revolutionary War Hero Daniel Morgan at the Battle of Cowpens. Pour une liste complète de ses livres, rendez-vous sur : amazon.com/author/jimstempel

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