Discussion

Dans ce rapport de cas, il est important de déterminer si les manifestations neurologiques et les lésions du cerveau et de la moelle épinière à l’IRM étaient dues au LED, ou le résultat d’une SEP-RR avec un développement ultérieur des manifestations systémiques typiques du LED en raison du fait que les manifestations neurologiques du LED peuvent être présentes des années avant les manifestations systémiques9. Dans le LED, les aPL jouent un rôle crucial ; le mécanisme par lequel ces anticorps peuvent produire une maladie similaire à la SEP chez les patients atteints de LED comprend le mimétisme moléculaire avec la myéline, la vasculopathie et la vasculite auto-immune.7 Cependant, chez notre patient, les aPL étaient négatifs au début de la maladie et pendant la manifestation systémique du LED.

La ON peut être présente dans la SEP et le LED. Dans la SEP, l’ON se caractérise par une évolution aiguë ou subaiguë, avec une altération unilatérale ou bilatérale de la vision et une douleur rétro-orbitaire ou oculaire qui est généralement exacerbée par les mouvements oculaires ; une récupération totale ou partielle suit ces caractéristiques cliniques. L’ON dans le LED est rare ; cependant, la caractéristique de l’ON est une déficience visuelle aiguë qui est suivie d’une perte visuelle progressive qui dure des semaines après la déficience visuelle initiale.10

La myélite dans la SEP est asymétrique, progresse en quelques heures ou quelques jours et une déficience sphinctérienne est habituellement présente. La myélite dans le LED est généralement la première manifestation neurologique dans environ 21% des cas. Des lésions longitudinales étendues de la moelle épinière sont observées chez 71% des patients et un gonflement de la moelle épinière est constaté dans 91,7% des cas lorsque la myélite affecte la matière grise. Dans le LED, il existe une association claire entre la myélite et les anticoagulants lupiques, qui étaient tous deux négatifs chez notre patient.11

Les IRM cérébrales des patients atteints de LED montrent des lésions focales et punctiformes dans la substance blanche ainsi qu’une atrophie corticale cérébrale et une maladie des petits vaisseaux. D’autre part, dans la SEP, les lésions cérébrales à l’IRM sont ovoïdes et périventriculaires et le corps calleux est fréquemment touché ; il est également fréquent de voir des lésions du tronc cérébral, sous-corticales et de la moelle épinière.7 Chez notre patient, les lésions à l’IRM étaient similaires à celles de la SEP et répondaient aux critères de Barkhof-Tintoré,12 et l’absence de signes systémiques et l’absence d’ANA et d’anti-dsDNA pendant six ans après l’apparition des premiers symptômes ont pratiquement exclu le LED pendant cette période. Les différences caractéristiques entre la SEP et le neuro-SLE sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1.

Différences caractéristiques entre la sclérose en plaques et le lupus érythémateux systémique7,9-12

.

Variable MS Neuro-…SLE
Névrite optique Présente et généralement unilatérale Rare
Lésions de la moelle épinière Secteur court
Moins de la moitié de la moelle épinière. diamètre
Rehaussement nodulaire/homogène
Avec le temps, il peut devenir moins évident
Longitudinal étendu
Prédilection pour la moelle centrale
Cerveau DIS
Periventriculaire :
Perivenular, perpendiculaire au ventricule
Thalamus/hypothalamus peu fréquent
Trains cérébraux :
Dorsale mais aussi surface piale/intra-axiale trigéminée
Les lésions corticales sont fréquentes
Présence d’infarctus ou de lacunes corticales, de microhémorragies, de calcifications
Prédominance des lésions dans la jonction corticosous-corticale, traversant parfois les territoires vasculaires
Les lésions de la substance blanche épargnant les fibres U
Les lésions parenchymateuses punctiformes.
Introduction des ganglions de la base
Une atrophie cérébrale peut se développer
Bandes oligoclonales (LCR) Présent dans >90% Présent dans 15% à 50%
CSF Habituellement normal Habituellement anormal
ANA Négatif ou faible (1 :80 à 1:160) Positif ou faible (>1:160)
Anticorps anti-cardiolipine Usuellement négatifs
Positifs : cas atypiques
Usuellement positifs
Manifestations extraneurologiques Absentes Présentées
Biopsie cérébrale Démyélinisation inflammatoire Ischémique-…vasculite-nécrose et démyélinisation

MS : sclérose en plaques ; LES : lupus érythémateux systémique ; DIS : dissémination dans l’espace ; ANA : anticorps antinucléaires ; LCR : liquide céphalorachidien.

Dans notre cas, le diagnostic de la SEP était basé sur les critères de diagnostic de McDonald 2010, qui ne considèrent pas la présence d’OCB pour le diagnostic de la SEP-RR8. Notre patient répondait aux critères de dissémination dans le temps et l’espace (DIS) malgré la présence de POE positifs, ce qui, à l’époque, n’était pas pris en compte dans le diagnostic. Cependant, ces dernières années, les POE ont commencé à jouer un rôle fondamental chez les patients atteints de syndrome cliniquement isolé (SCI) et de SEP.13 À cet égard, une méta-analyse a montré que la présence de POE chez les patients atteints de SCI prédit la conversion en SEP cliniquement définie (SPCD) et cette méta-analyse a montré que la présence de POE chez les patients atteints de SEP était un indicateur de la progression de l’invalidité mesurée par l’EDSS.14 Une étude prospective portant sur 415 patients atteints de SCI a montré que la présence d’OCB était associée à la conversion en SPCD, et que la présence d’OCB augmentait le risque d’une seconde poussée.15 Arrambide et al. ont démontré que la présence de POE, associée à la DIS, pouvait être un critère supplémentaire pour le diagnostic de la SEP chez les patients atteints de SCI, ce qui a permis de prendre en compte les POE dans les nouveaux critères diagnostiques de McDonald 2017.13,16 Pour cette raison, nous recommandons de tester les POE chez les patients atteints de SCI car la présence de POE permet un diagnostic plus précoce de la SEP et pourrait être un prédicteur utile de l’invalidité.

La SEP et le LED sont rarement signalés comme coexistant chez un même patient, et à l’heure actuelle, 17 cas ont été rapportés. Chez les patients atteints de SEP et de LED, la myélite (14/17) et l’ON (5/17) étaient les manifestations cliniques les plus fréquentes de la SEP, qui étaient présentes dans notre cas. L’arthrite (15/17) et les manifestations dermiques (9/17) étaient les manifestations systémiques les plus fréquentes. Ceci est en contraste avec notre rapport, dans lequel les symptômes rénaux et hématologiques étaient présents. L’ANA et l’anti-DNA étaient positifs chez 13/17 patients (tableau 2).2,5,7,9,17,18 Fanouriakis et al.2 ont montré que le RRMS était couramment associé au SLE chez 8/9 patients, et que 4/9 patients avaient une SEP avant le SLE, ce qui est similaire à notre cas.

Tableau 2.

Caractéristiques cliniques des patients SLE-MS.

Patient Age au moment du diagnostic du LED/MS Manifestations du LED Manifestations de la SEP Thérapie pour le LED Thérapie pour la SEP
Fanouriakis et al.2
Grèce
2014
1 40/56 Photosensibilité, arthrite, leucopénie, ANA (+) SLICC/ACR 4 Spinal (RRMS) Hydroxychloroquine + azathioprine Natalizumab
2 44/21 Photosensibilité, éruption malaire, arthrite, aphtes, anticorps anticardiolipine et antiphospholipides (+) Spinal (RRMS) Hydroxychloroquine + azathioprine Interféron β
3 36/40 Photosensibilité, arthrite, péricardite, aphtes, ANA (+), SLICC/ACR 5 Spinal (RRMS) Hydroxychloroquine + azathioprine + méthotrexate Interféron β et rituximab
4 34/39 Photosensibilité, éruption malaire, arthrite, perte de cheveux. Anticorps antiphospholipides (+), anticorps anti-bêta-2 glycoprotéine (+) Spinal (RRMS) Hydroxychloroquine Interféron β
5 55/57 Photosensibilité, arthrite, ulcères buccaux, ANA (+), SLICC/ACR 4. Sensorielle-Motrice (RRMS) Hydroxychloroquine + corticostéroïdes Corticostéroïdes
6 56/60 Photosensibilité, éruption malaire, arthrite, ANA (+). Spinal Hydroxychloroquine Corticoïdes, azathioprine, acétate de glatiramère
7 36/34 Photosensibilité, éruption malaire, urticaire chronique, arthrite, ANA (+), consommation de complément, SLICC/ACR 4 Spinal (PPMS) Hydroxychloroquine + azathioprine Interféron β
8 42/36 Photosensibilité, arthrite, leucopénie, ANA (+), SLICC/ACR 4 Névrite optique (SEP-RR) Hydroxychloroquine Acétate de glatiramère
9 35/30 Photosensibilité, éruption malaire, arthrite, ANA (+). Consommation de complément. SLICC/ACR 4 Spinal (RRMS) Hydroxychloroquine Interféron β
Kinnunen et al.9
Scandinavie
1993
10 42/30 Pleurite, hématurie, leucopénie, arthrite, ANA (+) Névrite sensori-motrice
Optique (RRMS)
Corticostéroïdes NA
11 8/30 Pleurite, glomérulonéphrite, arthrite, photosensibilité, lymphopénie, ANA (+), anti-dsDNA (+) Paralysie faciale périphérique, monoparésie MII, paraparésie, hyperréflexie, névrite optique, convulsions (SEP-RR) NA NA
12 57/29 Arthrite, ANA (+), anti-dsDNA (+), consommation de complément Névrite optique récurrente, atteinte sphinctérienne, parésie, fatigue, ataxie (RRMS) NA NA
Hietaharju et al.17
Scandinavie
2001
13 30/18 Arthralgies, ulcères buccaux, fièvre. ANA (+) et anti-dsDNA (+) Spinal (PPMS) Hydroxychloroquine Tout
14 26/21 Arthrite, thrombocytopénie, ANA (+) et anti-dsDNA (+) Sensorielle-motrice (PPMS) NA NA
Kyrozis et al.5
Grèce
2007
15 32/14 Arthrite, érythème malaire, ANA (+) et anti-dsDNA (+) Sensoriel-moteur (RRMS) Hydroxychloroquine + corticoïdes et ASA Le patient a refusé de recevoir le traitement.
Medina et al.7
Colombie
2010
16 18/16 Polyarthralgie, perte de cheveux, ANA + Névrite optique (SEP-RR) Corticostéroïdes NA
Bonaci-Nikolic et al.18
Serbie
2009
17 30/41 Arthrite, œdème facial, myalgie, fièvre, anémie, leucopénie, LDH élevée, ANA (+), anti-dsDNA (+). Vertigo, engourdissement des jambes
Myélite (RRMS)
Prednisone Interféron β
Sánchez et al.
Equateur
Présente étude
18 33/30 Fièvre, adénopathie, hématurie, protéinurie, pancytopénie, sérosité, Coombs positif, LDH élevée, consommation de complément, ANA + Spinal (RRMS) Hydroxychloroquine + corticostéroïdes Corticostéroïdes IV + interféron β
Couramment sous rituximab

SLE : lupus érythémateux disséminé ; IV : intraveineux ; SEP : sclérose en plaques ; SEP-RR : sclérose en plaques récurrente-rémittente ; SEP-P : sclérose en plaques primaire progressive ; ANA : anticorps antinucléaires ; SLICC/ACR : Systemic Lupus International Collaborating Clinics/American College of Rheumatology ; NA : non applicable ; LDH : lactate déshydrogénase ; antiADN-db : anti ADN double brin.

Notre patient a reçu de l’INF bêta-1a par voie sous-cutanée trois fois par semaine ; ce traitement a été choisi parce que l’INF bêta-1a a démontré son efficacité lors des essais cliniques de phase III19, et qu’il s’agissait du seul médicament disponible en Équateur pour le traitement de la SEP-RR. En ce qui concerne les IFN, il a été démontré que chez les patients atteints de LED, les INF de type I favorisent l’activation du système immunitaire et altèrent les mécanismes de régulation, contribuant ainsi à l’inflammation et aux lésions tissulaires.20 Le LED d’origine médicamenteuse est défini comme un syndrome de type lupus lié à une exposition continue à un médicament et qui disparaît après l’arrêt du médicament incriminé.21 Cependant, peu de rapports de cas ont montré le développement d’un LED chez des patients atteints de SEP traités par INF.22-24 Cela contraste avec ce qui s’est passé chez notre patient, puisque les symptômes du LED étaient présents lorsque le médicament a été retiré et se sont aggravés malgré un traitement par hydroxychloroquine. Nous pensons qu’une infection antérieure par le virus de la dengue pourrait avoir déclenché l’expression de l’INF de type I et le développement ultérieur du LED, comme l’ont démontré des études dans lesquelles le LED s’est développé chez des personnes exposées à des vaccins à virus vivants.20,22,23 De plus, il a été démontré que l’IFN bêta induit la mort des podocytes et empêche leur différenciation à partir de leurs précurseurs, ce qui fait de ce traitement une contre-indication pour les patients atteints de lupus néphrétique.20

À l’heure actuelle, il existe très peu de thérapies disponibles pour le traitement concomitant du LED et de la SEP. La prise en charge du LED dépend souvent de la gravité de la maladie et de ses manifestations (atteinte du SNC et maladie rénale proliférante diffuse). L’hydroxychloroquine associée à des anti-inflammatoires non stéroïdiens et à des analgésiques est recommandée dans le cas d’un LED à activité légère ; la prednisone associée au méthotrexate, à l’azathioprine ou au mycophénolate mofétil (MMF) est recommandée dans le cas d’un LED à activité modérée ; et, chez les patients à activité sévère mais sans atteinte rénale ni atteinte du SNC, la cyclophosphamide, le leflunamide ou l’association de la prednisone au MMF ou au rituximab sont recommandés25. Dans les glomérulonéphrites du LED de classe III, comme dans le cas de notre patient, un traitement d’induction à base de méthylprednisolone est nécessaire en association avec du cyclophosphamide ou du MMF, suivi d’un traitement d’entretien à base de MMF, d’azathioprine ou de cyclophosphamide à faibles doses. 26

Le rituximab est recommandé en cas de LED avec des atteintes neurologiques, hématologiques ou rénales sévères qui ne répondent pas aux traitements de première intention. Une étude a montré que le rituximab peut être une option thérapeutique efficace et bien tolérée pour la néphrite lupique réfractaire.26-28 Dans la SEP, les immunosuppresseurs MMF, azathioprine, méthotrexate et cyclophosphamide ont été étudiés ; cependant, leur efficacité n’est pas encore bien établie. Une étude rétrospective a montré que 55% des patients ne présentaient aucun signe d’activité de la maladie lorsqu’ils étaient suivis avec du cyclophosphamide comme traitement d’induction.29 Une autre étude rétrospective a montré que le MMF réduisait le taux de rechute annualisé et que l’EDSS restait stable entre l’initiation et un an après le début du MMF.30 Un essai multicentrique, randomisé, de non-infériorité a montré que l’efficacité de l’azathioprine n’était pas inférieure à celle de l’IFN bêta pour les patients atteints de SEP-RR.31 Cependant, il est nécessaire que l’efficacité de ces médicaments soit démontrée dans des essais cliniques de phase III et, si possible, qu’ils soient comparés aux traitements de fond (DMT).

Le gel d’hormone adrénocorticotrope (ACTH) a été approuvé par la Food and Drug Administration des États-Unis comme traitement de la SEP récurrente en 1978 et comme option thérapeutique du LED en 1952.32,33 L’ACTH a des effets anti-inflammatoires et immunomodulateurs dus à l’activation des récepteurs de la mélanocortine centraux et périphériques34. Dans la SEP, une revue systématique a démontré que l’ACTH ou les corticostéroïdes étaient efficaces à court terme pour améliorer les symptômes, favorisant ainsi la guérison.35 En ce qui concerne les patients atteints de LED actif modéré ou sévère, une étude ouverte a montré que le gel d’ACTH peut apporter une réduction significative de l’activité de la maladie.33 Une autre étude rétrospective a montré que l’ACTH semble sûre et bien tolérée après six mois de traitement du LED avec une réduction significative de l’activité de la maladie.36

Notre patient a reçu un traitement par rituximab, dont l’efficacité dans la SEP a été démontrée dans des études observationnelles et de phase II. Hauser et al. ont montré que, comparé au placebo, le rituximab réduisait les lésions cérébrales inflammatoires et les poussées cliniques pendant 48 semaines.37 Spelman et al. ont montré que le rituximab était supérieur aux DMT de première génération en ce qui concerne le contrôle des poussées et la tolérance22. Une étude observationnelle a montré que le taux de rechutes cliniques ou d’activité de la maladie sur le plan neuroradiologique était significativement plus faible pour le rituximab par rapport aux DMT injectables et au fumarate de diméthyle, avec une tendance à un taux de rechutes plus faible ; cela semble également être le cas par rapport au natalizumab et au fingolimod.38 Notre patiente avait une SEP-RR stable et elle a reçu de l’IFN avant de passer au rituximab. Sur ce point, une étude multicentrique ouverte de phase II a montré que chez les patients atteints de SEP-RR stable, le passage d’un traitement par INF ou acétate de glatiramère à un traitement par rituximab était associé à une réduction de l’activité de la maladie mesurée par IRM et des niveaux de chaîne légère des neurofilaments dans le LCR.39 De plus, le rituximab semble avoir une meilleure efficacité et une meilleure tolérance que le fingolimod chez les patients atteints de SEP-RR stable qui passent du natalizumab au rituximab en raison de la présence d’anticorps du virus JC.40 Enfin, une étude d’observation a montré que le rituximab était sûr et efficace chez les patients atteints de SEP-RR qui n’avaient pas répondu aux traitements de première et de deuxième intention et qu’il constituait également une option utile pour les patients présentant des troubles auto-immuns concomitants, comme dans notre rapport de cas.41

En conclusion, la distinction entre la SEP et le LED est un défi diagnostique pour le neurologue, et la présence des deux maladies doit être envisagée chez les patients présentant des manifestations neurologiques cliniques de la SEP qui présentent des manifestations systémiques typiques du LED.

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