Introduction

La patiente enceinte est souvent rencontrée avec un certain degré d’appréhension par les médecins en raison de la nécessité de considérer la sécurité non seulement de la patiente, mais aussi du fœtus, et des changements physiologiques substantiels que le corps de la femme subit. Les maladies cardiaques sont la cause la plus fréquente de décès maternels indirects et représentent 12 % de tous les décès maternels au Royaume-Uni.(1) Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes deviennent enceintes à un âge plus avancé et que les patients atteints de cardiopathies congénitales survivent plus longtemps. Les arythmies sont fréquentes pendant la grossesse, même en l’absence de cardiopathie structurelle, et peuvent être une première manifestation ou l’exacerbation d’une affection cardiaque préexistante.(2,3) Souvent, les patientes sont symptomatiques avec des palpitations dues à une arythmie bénigne (battements ectopiques, tachycardie sinusale) et peuvent n’avoir besoin que d’être rassurées. Cependant, même l’arythmie généralement considérée comme bénigne, peut être source d’inquiétude pour la femme enceinte et son fœtus.(3-5) De plus, la plupart des médicaments antiarythmiques traversent le placenta et certains peuvent être nocifs pour le fœtus, il faut donc faire preuve de prudence dans la prise en charge de l’arythmie chez la patiente enceinte.(6)

Mécanismes de l’arythmogenèse pendant la grossesse

Pendant la grossesse, les demandes métaboliques accrues de la mère et du fœtus entraînent des modifications de la physiologie cardiovasculaire. Le volume plasmatique augmente jusqu’à 40% à 24 semaines de gestation, ce qui entraîne une augmentation de la précharge et du débit cardiaque. La résistance vasculaire systémique est réduite en raison d’une vasodilatation active.(3,7,8,12) L’augmentation du volume circulant entraîne un étirement auriculaire qui active à son tour les canaux ioniques et induit une dépolarisation de la membrane, ce qui raccourcit la période réfractaire et ralentit la conduction.(5,8) La fréquence cardiaque augmente de 30% en raison de l’augmentation de l’activité adrénergique et autonome, aggravant encore le milieu pro-arythmique.(3,7,8,12)

L’ECG de repos

L’ECG de repos de la patiente enceinte révèle souvent une tachycardie (sinusale), ce qui entraîne un raccourcissement des intervalles PR, QRS et QT. Lorsque l’utérus grossit et élève le diaphragme, l’axe électrique se déplace vers la gauche. De petites ondes Q et une inversion de l’onde T sont souvent observées dans les dérivations inférieures. Les complexes auriculaires et ventriculaires prématurés sont fréquents.(3,5,9)

Présentation clinique et diagnostic

Les patientes enceintes présentant des palpitations, une pré-syncope ou une syncope nécessitent toujours des examens complémentaires. Ces examens doivent comprendre une anamnèse et un examen détaillés, ainsi qu’un ECG à 12 dérivations, des analyses sanguines de routine, un moniteur holter et une échocardiographie trans-thoracique. Il est nécessaire d’exclure toute affection systémique susceptible de se manifester par des arythmies, comme un dysfonctionnement de la thyroïde, une anémie ou une infection. La grossesse étant souvent le premier examen médical d’une femme, il convient d’exclure toute affection cardiaque structurelle au moyen d’une échocardiographie transthoracique de référence. Il est important de diagnostiquer l’arythmie à l’origine des symptômes et d’identifier tout facteur exacerbant ou causal pour assurer la prise en charge la plus appropriée.(3,9)

Arrythmies supraventriculaires

Les tachycardies supraventriculaires paroxystiques sont fréquentes pendant la grossesse et peuvent survenir dans 20 à 44% des cas.(7,10)

AVNRT/AVRT

Si elles persistent, la prise en charge initiale consiste en des manœuvres vagales. En cas de succès, le patient doit être conseillé sur la manière de s’auto-interrompre en cas de récidive. Le traitement de deuxième ligne doit être des bolus d’adénosine (18-24 mg) en raison de sa courte demi-vie. Bien qu’elle ne soit pas dangereuse pour le fœtus, l’adénosine peut favoriser la conduction dans une voie accessoire et doit donc être administrée dans un environnement surveillé avec accès à un équipement de réanimation. Pendant la grossesse, l’adénosine désaminase, qui dégrade l’adénosine, est souvent réduite d’environ 25 % ; cependant, en raison de l’augmentation du volume intravasculaire, le volume de distribution reste inchangé.(3,11) Peu d’études ont été réalisées chez des patientes enceintes recevant de l’adénosine au cours du premier trimestre et la prudence est donc de mise. L’adénosine est considérée comme sûre au cours des deuxième et troisième trimestres.(8,11) Lors d’une revue récemment publiée des médicaments cardiaques utilisés pendant la grossesse, l’adénosine a été considérée comme sûre aux États-Unis, notamment en raison de sa courte demi-vie, bien qu’une bradycardie fœtale ait été décrite.(12)

Chez les patients atteints du syndrome de Wolff-Parkinson-White (WPW), les bêta-bloquants sont le traitement de choix car les inhibiteurs calciques et la digoxine peuvent exacerber la conduction via la voie accessoire et provoquer une fibrillation auriculaire pré-excitée conduisant à une fibrillation ventriculaire. L’aténolol est généralement évité en raison des préoccupations liées au retard de croissance intra-utérin (RCIU). Les autres effets secondaires associés aux bêta-bloquants, dont l’incidence est faible, comprennent la bradycardie fœtale, l’apnée et l’hypoglycémie. Chez les patients sans WPW, le vérapamil est souvent un traitement de deuxième intention sûr à administrer pendant la grossesse et chez la patiente qui allaite.(3,11,12)

Le tableau 1 résume le profil de sécurité des médicaments anti-arythmiques pendant la grossesse et l’allaitement.

Fibrillation auriculaire et/ou flutter auriculaire

La fibrillation et/ou le flutter auriculaire sont relativement rares pendant la grossesse. S’ils sont présents, ils sont généralement dus à une cardiopathie structurelle sous-jacente, à une perturbation des électrolytes ou à une thyrotoxicose. Il est important de traiter l’affection sous-jacente en premier lieu, car le retour au rythme sinusal normal est fréquent. Bien que ces arythmies soient bien tolérées, il faut chercher à revenir à un rythme sinusal normal pour réduire le besoin d’anticoagulation, d’autant plus que la grossesse elle-même est un état pro-thrombotique. Le contrôle du rythme doit être tenté en premier lieu avec un bêta-bloquant. Chez les patientes hémodynamiquement instables ou si la mère et/ou le fœtus sont en danger, la cardioversion électrique est considérée comme sûre et préférée à la cardioversion chimique car elle minimise le risque pour le fœtus ; cependant, malgré une incidence extrêmement faible, un contrôle fœtal doit être effectué pendant la procédure afin d’identifier précocement les arythmies fœtales.(3,7,8) L’amiodarone est évitée pendant la grossesse car elle peut entraîner une hypothyroïdie fœtale et un RCIU. Dans certains cas, elle ne peut être évitée si l’arythmie met la vie en danger et ne répond pas à d’autres traitements médicaux.(7,8)

Pour les patientes dont l’objectif est le contrôle de la fréquence, les bêta-bloquants (en dehors du premier trimestre), le vérapamil et la digoxine, ont tous été jugés relativement sûrs pendant la grossesse. Nous n’avons pas suffisamment d’expérience avec le diltiazem pendant la grossesse pour garantir son innocuité, et il a également été associé à des anomalies du squelette et à un RCIU.(3) Les patientes sous digoxine doivent être surveillées quant à sa toxicité, car il a été associé à des fausses couches et à la mort fœtale. En raison d’un volume de distribution accru, les niveaux de digoxine sont souvent réduits et les patients ont besoin de doses accrues du médicament pour maintenir les niveaux dans la marge thérapeutique. Ceci augmente potentiellement le risque de toxicité de la digoxine.(7,12)

Les patients ayant un score CHA2DS2VASC d’au moins 2 doivent être considérés pour une anticoagulation en raison du risque thrombo-embolique accru. La warfarine est tératogène au cours du premier trimestre ; cependant, elle peut être administrée à partir du deuxième trimestre jusqu’à 1 mois avant la date prévue de l’accouchement. Les injections sous-cutanées d’héparine de faible poids moléculaire peuvent être administrées sans danger au cours du premier trimestre et du dernier mois de la grossesse. Il a été démontré que le dabigatran est dangereux et foetotoxique et qu’il ne doit pas être utilisé à fortes doses. Les autres anticoagulants oraux plus récents n’ont pas fait l’objet de suffisamment de recherches pour évaluer leur sécurité pendant la grossesse et ils doivent donc tous être évités.(7,9,13,14)

Arrythmies ventriculaires

Bien que les battements ventriculaires prématurés soient fréquents pendant la grossesse, les tachycardies (TV) et les fibrillations ventriculaires sont rares. Dans un cœur structurellement normal, la TV monomorphe provenant de la voie de sortie ventriculaire droite est la plus fréquente. Elle se caractérise par la présence d’un schéma LBBB et d’un axe inférieur sur l’ECG à 12 dérivations. Ils évoluent très rarement vers des rythmes instables et répondent bien aux bêta-bloquants.(3,7,8)

Les patients présentant une TV et une cardiopathie structurelle connue sont à risque de mort cardiaque subite et doivent être traités rapidement par cardioversion électrique. La lignocaïne ou l’amiodarone par voie intraveineuse peuvent être envisagées. Il est important de rétablir le rythme sinusal, même chez les patients hémodynamiquement stables, dès que possible pour prévenir une ischémie myocardique conduisant à une dégénérescence du rythme cardiaque (7).

Les défibrillateurs cardioverteurs implantables peuvent être utilisés en toute sécurité pendant la grossesse et doivent être implantés chez toutes les patientes présentant un risque élevé de mort cardiaque subite. S’ils sont implantés pendant la grossesse, des précautions doivent être prises pour limiter l’exposition du fœtus à la fluoroscopie avec l’utilisation de boucliers abdominaux.(7)

Ablation par cathéter à radiofréquence

L’ablation par cathéter à radiofréquence avec un blindage abdominal peut être envisagée chez les patients pharmaco-résistants et très symptomatiques. Il est important de minimiser l’exposition du fœtus à la fluoroscopie. Si nécessaire, pendant la grossesse, cette intervention doit être réalisée au cours du deuxième ou du troisième trimestre. Chez les patientes en âge de procréer qui participent à la planification familiale, en présence d’épisodes fréquents de tachycardies supraventriculaires symptomatiques, l’ablation doit être envisagée avant la grossesse.(7,8)

Bradyarythmies

Les bradyarythmies sont rares pendant la grossesse étant donné que la réponse physiologique normale à la grossesse entraîne des fréquences cardiaques plus élevées. Pendant l’accouchement, une manœuvre de Valsalva déclenchera souvent une bradycardie sinusale. Dans de rares cas, on a décrit un syndrome hypotensif de la grossesse en décubitus dorsal, où l’utérus peut comprimer le retour veineux via la veine cave inférieure Alejandra Miyazawa 4 mai 2019 et entraîner un ralentissement sinusal paradoxal. Cela répond bien à une position de décubitus latéral gauche.(3,7,15)

Le bloc cardiaque complet congénital chez la mère est rare et souvent bien toléré avec un complexe QRS étroit. Les implantations de stimulateurs cardiaques permanents peuvent être réalisées en toute sécurité pendant la grossesse avec une exposition réduite du fœtus à la fluoroscopie.(3,7,8)

Conclusion

Les arythmies sont fréquentes pendant la grossesse et peuvent souvent être gérées de manière conservatrice. La prise en charge de ces patientes est similaire à celle des patientes non enceintes. En général, les patientes enceintes peuvent être prises en charge en toute sécurité avec des médicaments présentant peu de risques pour la mère et le fœtus. Pour le traitement de la TSV, des manœuvres vagales doivent être tentées en premier lieu. En cas d’échec, l’adénosine doit être utilisée avec prudence au cours du premier trimestre et peut être utile pour révéler le rythme sous-jacent et/ou mettre fin à l’arythmie. En cas de fibrillation auriculaire et de flutter auriculaire, les bêta-bloquants sont souvent utilisés en première intention chez les patients hémodynamiquement stables. Les inhibiteurs calciques et la digoxine sont des alternatives relativement sûres si les bêta-bloquants sont contre-indiqués. Le rétablissement d’un rythme sinusal normal est primordial et, si les manœuvres conservatrices ne permettent pas de résoudre le problème, il est généralement sûr de procéder à une cardioversion électrique à n’importe quel stade de la grossesse.

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